Histoire De L'aikido
L'Aikido
L'aïkido (合気道) est un budō (méthode d'éducation issue d'un art martial japonais), fondé par Morihei Ueshiba au cours du XXe siècle, entre 1930 et 1960 (officiellement reconnu par le gouvernement japonais en 1940 sous le nom d'aikibudō), mais basé sur des écoles d'arts martiaux bien plus anciennes (essentiellement le ju-jitsu de l'école daitō ryū, l'escrime ou kenjutsu et l'aikijutsu). L'aïkido est ainsi né de la rencontre entre ces techniques martiales et d'une réflexion métaphysique de Maître Ueshiba sur le sens de la pratique martiale.
L'aïkido se compose de techniques aux armes et à mains nues utilisant la force de l'adversaire, ou plutôt son agressivité et sa volonté de nuire. Ces techniques visent non pas à vaincre l'adversaire, mais à réduire sa tentative d'agression à néant. L'aïkido peut être considéré comme la concrétisation du concept de légitime défense : une réaction proportionnée et immédiate à une agression. En fait, dans l'esprit de l'aïkido, il n'y a pas de combat, puisque celui-ci se termine au moment même où il commence. Conformément à cette logique, il n'existe pas de compétition d'aïkido excepté dans certains styles particuliers comme le style Tomiki.
L'aïkido est pratiqué par des femmes et des hommes de toutes tailles et âges. Le but de la pratique est de s'améliorer, de progresser (techniquement, physiquement et mentalement) dans la bonne humeur (Morihei Ueshiba insistait beaucoup sur ce point). Ne sont montrées que des techniques respectant le partenaire. Particulièrement complexe, son utilisation en combat réel nécessite un haut niveau de pratique. De plus si les techniques restaient basées sur l'académisme classique, elles étaient adaptées à un style combatif. L'aïkido n'est donc pas un moyen pour apprendre à se battre. Malgré tout, l'aïkido permet de se préparer autant physiquement (souplesse, rapidité, musculature), mentalement (rester calme en toutes circonstances) et techniquement (respecter la distance de sécurité, trouver l'ouverture, se placer, gérer plusieurs attaques simultanées) à l'éventualité d'attaques de toutes sortes (pas seulement martiales).
Il est important de noter dès cette introduction qu'il existe différents styles d'aïkido répondant à différentes aspirations. Le style le plus répandu est celui initié par le propre fils du fondateur, Kisshomaru Ueshiba, style connu sous le nom d'Aïkikai. Cependant pour comprendre l'existence d'écoles différentes, il faut prendre en compte le fait que le fondateur de l'aïkido a créé cet art martial et l'a développé tout au long de sa vie. L'évolution des techniques s'est faite jusqu'à la mort de Morihei Ueshiba qui eut de nombreux émules, des disciples qui ont donc propagé la technique d'un Aïkido en perpétuelle évolution. Le fils du fondateur qui ne reçut que temporairement l'enseignement que son père ne cessa d'offrir à d'autres, ne pratique donc pas nécessairement la même technique que ces autres disciples. Il en est ainsi des autres maîtres, ce qui explique les différentes écoles. Dans l'esprit même du fondateur de l'aïkido, une fédération à la technique universelle et monolithique n'a donc pas de sens. Ce n'est surtout pas un sport, mais une façon d'appréhender l'homme. Le fondateur de l'Aïkido s'il fut un brillant patriotique soldat, fut également un pacifiste convaincu.
Le terme aïkido
Le terme aïkido (aikidō en japonais) est composé de 3 kanji signifiant:
Aïkido peut donc se traduire par « la voie de la concordance des énergies ».En effet, le terme « concordance » est plus près du sens japonais original de l'aiki comme étant une action de rencontre (explicité dans la composition du kanji) que le terme « harmonisation ». L'« harmonie » peut être le résultat souhaité de la pratique de l'aïkido, mais on ne fait pas d'aïkido sans faire concorder les énergies (ce qu'on fait avant et après, harmonieux ou non, importe peu tant qu'à l'aïkido comme tel). Comme le fait remarquer Olivier Gaurin, l'aïkido, par la concordance (« mettre les cœurs ensemble »), amène à un résultat où il sera possible de communiquer avec l'« adversaire », chose impossible si on a dans l'idée de l'harmoniser (« amener à une entente, se mettre d'accord », ce qui est peut-être impossible en partant) ou de le détruire. Un autre problème soulevé est qu'« harmonie » implique souvent une notion d'amitié ou de paix, ce qui est superflu (on ne peut pas être aimé par tout le monde même si soi-même on aime tout le monde)[1]. Par exemple, les japonais utilisent le mot wagō (和合) pour « harmonie », terme composé de « paix » et de « concorder » : en concordant vers la paix, on crée l'harmonie.
Concordance des énergies (principe d'aiki)
L'aïkido se base sur le principe de la « concordance les énergies ». D'un point de vue martial, cela se comprend de trois manières :
- unir les énergies de son propre corps (via le seika tanden) pour agir, coordonner les bras et les jambes ; notamment, on s'attache à mouvoir les deux mains ensemble (comme si elles tenaient un sabre) en maintenant une certaine extension des bras, afin de mieux transmettre le mouvement au partenaire (par un effet de levier) et de maintenir une distance de sécurité (gestion de la distance, ma ai) ;
- unir les énergies des deux partenaires : tori ne va pas s'opposer à uke mais va au contraire accompagner son mouvement, s'accorder à son rythme (gestion du rythme, autre sens de ma ai) ; alors que uke s'attend à rencontrer une résistance, il rencontre en fait le vide, et même une assistance pour poursuivre son mouvement, ce qui provoque sa chute (la sensation est similaire à une porte qui s'ouvre au moment où on essaie de l'enfoncer). Pour prendre une image : lorsque l'on étaie un mur, le mur et l'étai sont en opposition, ils se renforcent mutuellement ; de même si tori s'oppose à uke, il le renforce sur ses positions, il le stabilise, alors que s'il l'accompagne dans son mouvement, il maintient le déséquilibre ;
- agir comme un intermédiaire entre un état de violence et un état où la violence n'est plus : on laisse la violence se déployer où elle ne peut nuire. On peut comparer la personne qui agit de cette façon à un « passeur d'orages » : non pas celui qui empêche les orages de tomber, mais celui qui les dirige de manière à ce qu'ils ne fassent pas de dégâts. Il ne cherche pas à dominer, mais à débloquer là où il y a fixation (sur une émotion, sur la violence ou l'attaque comme telle, etc.) Après le déblocage, il ne conduit pas consciemment la violence – ce serait là une forme de domination – mais la laisse couler vers un endroit prédéterminé, où elle ne peut nuire[1].
On peut y voir une progression
- partant du niveau psychomoteur (« l'esprit et le corps », unir nos propres énergies) ;
- au niveau technique (s'unir avec l'énergie des autres et par là créer un vide) ;
- puis au niveau mental (« être » le vide, voir Budo > Budo et spiritualité).
Il serait bien sûr futile d'essayer d'« être le vide » avant d'être capable d'en créer un ou d'essayer de s'unir avec des énergies extérieures lorsqu'on est pas encore capable d'unir ses propres énergies internes. Un concept de progression semblable se retrouve dans l'enseignement du Tenshin Aïkido : on commence par le gō (剛, dur : nos techniques sont angulaires, exécutées avec force), ensuite vient le jū (柔, flexible : nos techniques deviennent flexibles, on se sert de la force de l'autre) et finalement le ryū (流, flux : nos techniques « coulent » comme de l'eau, on laisse passer la force de l'autre).
Pour cultiver cette notion de l'énergie, on pratique en début et en fin de séance des exercices respiratoires. Dans la symbolique taoïste, ces exercices sont là pour mettre en mouvement l'énergie vitale (le ki, qui signifie aussi le souffle).
Morihei Ueshiba était aussi un adepte de la secte shintoïste Ōmoto-kyō. Une de ses intentions, en fondant l'aïkido, était de promouvoir la paix et l'harmonie entre les êtres, afin de créer une société meilleure. Le terme « concordance des énergies » renvoie donc également à une conception de la société ou les gens coopéreraient entre eux vers la paix et l'harmonie plutôt que de s'affronter. Dans sa dimension mystique la plus extrême, il considérait l'aïkido comme une prière gestuelle, semblable aux mudrâ bouddhiques, associée à une prière vocale, le kotodama.
Forme, attitude et efficacité martiale
L'enseignement de l'aïkido se fait essentiellement par la répétition de techniques de base. La maîtrise de chaque point d'une technique est indispensable à son fonctionnement. Le but de ces formes est aussi de travailler son attitude. En effet, un mouvement ne peut être réussi que si :
- tori est toujours stable, il doit donc avoir une attitude « parfaite » (shisei - 姿勢) ;
- tori gère les ouvertures (possibilités d'attaque) et fermetures (empêcher uke de contre-attaquer), en gérant les distances, les directions et le rythme du mouvement (maai - 間合) ;
- tori coordonne ses mouvements et les harmonise pour maîtriser uke sans que celui-ci rencontre une opposition qui lui permettrait de se raffermir (aiki) ;
- uke est toujours en déséquilibre, ce qui implique un travail sur les directions, l'extension des bras et la continuité du mouvement (ki no nagare).
Cette attitude est très importante et indispensable aux progrès. Dans un combat réel, un mouvement ne présentant pas la plus parfaite exactitude est inefficace. Il faut assimiler les formes pour assimiler les principes. L'efficacité martiale, pour un aïkidoka, ne réside donc pas dans l'agressivité (qui au contraire mène à la destruction), mais dans l'attitude.
Une des manières d'évaluer la justesse martiale est de marquer des atemi (coups) (par exemple lancer la main ouverte ou le poing vers le visage du partenaire pour simuler un coup de poing) : si tori a la possibilité de frapper, c'est que son attitude est correcte, et si uke peut frapper, c'est que tori a fait une erreur. Le port de tels coups est sur certaines techniques indispensable, la réaction de uke à ce coup étant utilisée. Mais il n'est pas nécessaire de porter réellement ces coups. Notons que certaines branches de l'aïkido vont jusqu'à supprimer le marquage des atemi ce qui n'est pas sans susciter des controverses.
C'est ainsi que l'aïkido peut se prétendre à la fois « martial » et « non-violent » : il n'est pas nécessaire d'être violent pour être efficace martialement (l'être est même contre-productif).
Pour des raisons pédagogiques, les mouvements sont montrés avec une grande amplitude, alors qu'en combat réel il vaut mieux avoir des mouvements courts (rapides et économisant l'énergie) — notez que les mouvements se raccourcissent spontanément avec la tension nerveuse (stress) de l'agression, ils raccourcissent également au fur et à mesure que l'on progresse.
L'aïkido permet également de se préparer physiquement (souplesse, rapidité, musculature), mentalement (rester calme en toutes circonstances) et techniquement (respecter la distance de sécurité, trouver l'ouverture, se placer, gérer plusieurs attaques simultanées).
La garde : kamae
La garde de base en aïkido est la position hanmi (san kaku 三角, littéralement « trois points », en triangle). Le pied avant est dans l'alignement de la jambe, le pied arrière ouvert avec un angle d'environ 50° par rapport à l'axe du pied avant. Le poids est réparti sur la plante des deux pieds, les talons très légers. Dans cette position les hanches se placent naturellement de trois quart.
Cette position est intermédiaire entre la garde iaidō (les pieds sont parallèles, les hanches complètement de face) et la garde de karaté, où les hanches sont profilées pour réduire la zone d'impact et permettre d'armer les coups de pied. L'objectif de cette garde est d'obtenir une bonne mobilité dans toutes les directions.
On rencontre également la position hitoemi (一重身). La position des jambes est similaire à hanmi, mais les pieds sont ouverts au maximum. Les hanches sont alors complètement de face. Cette position assure une plus grande stabilité, en particulier à la fin des mouvements. Elle présente cependant des risques importants au niveau des ligaments du genou, ce qui fait que plusieurs experts la déconseillent.
Il n'y a pas (excepté dans le style Yoshinkai) de position particulière pour les mains en aïkido. Le but principal de cette « absence de garde » pour les mains est simple : cela évite de les mettre en avant, et donc de les exposer à une éventuelle arme caché de l'adversaire (comme un couteau dans la manche). On désigne ceci par l'expression shizen tai, « position naturelle ».
La tenue
La tenue de base est le keikogi (vêtement d'entraînement), appelé à tort « kimono ». Il s'agit du même qu'en judo. Il se compose d'une veste et d'un pantalon en coton blanc. La veste est fermée par une ceinture (obi). Lorsque le professeur estime que l'élève est suffisamment à l'aise dans ses déplacements et dans ses chutes, il l'autorise à porter le hakama, une sorte de pantalon flottant noir ou bleu foncé. Cependant, selon les dojos et les écoles la période où le hakama est portée peut varier : le pratiquant est autorisé à le mettre dès le début, à partir du 3e, 2e ou 1er kyū… Les titulaires d'un grade dan (étudiants avancés) portent systématiquement un hakama.
L'aïkido se pratique pieds-nus sur les tatami (ou, à défaut de tatami, sur un tapis), mais il faut s'y rendre avec des chaussures pour des raisons d'hygiène ; les pratiquant utilisent en général des nu-pieds que l'on appelle zōri. Lorsque l'on monte sur le tatami, les zōri doivent être disposées perpendiculairement au tatami, la pointe en direction de l'extérieur, comme si l'on avait à sortir en catastrophe.
Les grades
Le système des grades dan dans les Budō est développé au Japon par Jigorō Kanō dès le XIX siècle afin de remplacer le système traditionnel de certificats d'aptitude permettant d'enseigner (soit en succédant au maître, soit en fondant sa propre école). Cela en créant des étapes intermédiaires, plus modernes et progressives, les grades kyū et dan. Les élèves d'Ueshiba d'avant-guerre n'ont pas eu de grades dan semble-t'il, mais des certificats dit menkyo kaiden.
Dans certaines écoles d'aïkido (car ce n'est pas systematique), le débutant se voit attribuer le grade 6e kyū, puis progresse jusqu'au 1er kyū. Les passages de grade kyū se font au dojo (lieu de pratique) par le professeur lui-même. Puis, le pratiquant passe le 1er dan, le grade le plus élevé étant le 10e dan (accordé uniquement à titre posthume ou exceptionnellement pour des personnes de haut niveau).
Il n'existe en aïkido que deux couleurs de ceinture : blanc et noir. On porte la ceinture blanche du 6e au 1er kyū, puis la ceinture noire à partir du 1er dan. Certains dojo utilisent des ceintures de couleurs (blanc, jaune, orange, vert, bleu, marron, noir) différentes pour marquer le niveau, et ainsi donner des repères de progression aux jeunes pratiquants, parfois aussi aux adultes.
Le professeur autorise le port du hakama lorsqu'il juge que le pratiquant a atteint un niveau suffisant. Selon les dojos, cela se fait au 3e kyū (équivalent de la ceinture verte au judo) ou au 1er kyū (équivalent à la ceinture marron) ou avant. Toutefois, certaines écoles ne l'autorisent qu'à partir du 1er dan.
Il est à noter que la ceinture noire n'est pas une marque de maîtrise, le 1er dan est un étudiant (shodan) qui a acquis les bases. Les usages peuvent toutefois varier d'une école à l'autre. Dans certains dojo, l'étude, qu'on appelle bukiwaza, des techniques avec armes (bokken, jō, etc.) est considérée comme indissociable de l'étude des techniques à mains nues (taijutsu). Une progression en parallèle dans ces deux domaines est obligatoire ; on ne peut, par exemple, prétendre passer le 3e kyū en taijutsu si l'on n'a pas atteint au minimum le 4e kyū en bukiwaza, et inversement, de sorte qu'il y a à tout moment au plus un kyū, ou un dan, de différence entre le niveau dans ces deux domaines de pratique.