Biographie de Gichin Funakochi

Gichin Funakochi
 
 
1869 -1957 . Il amena au début des années 1920 le karaté d'Okinawa au Japon, et fut de ce fait à l'origine d'une étape décisive qui donna à "l'art de la main vide" l'impulsion pour une diaspora mondiale aux ramifications infinies.
Quel que soit le style de karaté qu'il pratique aujourd'hui, aucun karateka ne peut nier le rôle fondamental de cet okinawaïen qui, le premier, avant l'arrivée d'autres experts brûlants d'envie de suivre son exemple, subjugua les milieux sportifs nippons.
C'est pourquoi on lui donne le nom de "Père du karaté moderne", parce que son Shotokan fut le creuset où se forgèrent quantité d'experts qui acquirent une renommée mondiale. Pour beaucoup de ses contemporains, ce petit homme d'à peine 65 kg pour 1,67 m, dôté d'une force peu commune encore à l'âge de 53 ans (lorsqu'il fit sa démonstration à Tokyo en 1922), d'un mental fort et d'une grande droiture, ce qui n'enlevait rien à sa gentillesse et à la distinction de son maintien, était un individu hors du commun. Mais nombre d'experts de karaté d'Okinawa, pour de multiples raisons, parmi lesquelles tout simplement la jalousie de l'avoir vu réussir aussi bien dans son entreprise, lui en voulurent d'avoir dévoilé les secrets de l'art insulaire à des Japonais (tout de même considérés jusqu'en 1871 comme des étrangers et des envahisseurs sur l'île d'Okinawa). Ce qui explique aujourd'hui la grande discétion au sujet de Funakoshi dans les dojo d'Okinawa et les tableaux généalogiques référant à la transmission des différents styles. Sa vie est connue à travers une autobiographie écrite en 1956 sous forme d'articles parus dans le "Sangyo Keiza Shimbun" (Journal du commerce et de l'industrie).

Funakoshi Gishin naquit en 1869 à Shuri, Okinawa dans le district de Yamakawa-Cho, fils unique d'une famille modeste. Il falsifia lui-même cette date par la suite, pour en faire 1870, afin d'avoir l'âge requis pour pouvoir se présenter à l'examen de Medecine de Tokyo, examen qu'il réussit. Il n'y entra cependant pas, une nouvelle loi interdisant aux hommmes le port de cheveux noués en chignon sur la tête (le Chon-mage : disposition considérée de tout temps à Okinawa comme symbole de virilité et de maturité). Or la famille du jeune Funakoshi refusa de reconnaître ce nouvel édit et il ne put entrer à l'Ecole de Medecine…
L'anecdote illustre bien cet esprit traditionaliste de le famille, que le fils perpétua à sa façon. Petite cause, grands effets, parti pour Tokyo, il n'aurait pas connu l'Okinawa-te et le karaté eut connu une fortune peut-être différente. Il découvrit ainsi, vers l'âge de 15 ans, ce qui allait devenir la passion de sa vie ; en effet, son maître d'école était le fils de Azato Yasutune, l'un des plus grands experts d'alors, issu d'une famille respectée sur tout Okinawa. Le jeune Gishin découvrit ainsi le karaté à une époque où son enseignement était encore interdit et où l'on pratiquait en secret, la nuit, sans faire étalage de ce que l'on  avait appris, époque où l'on répétait mois après mois le même kata, au point d'en ressentir exaspération et humiliation, mais avec l'interdiction formelle d'entamer l'étude d'un nouveau kata sans l'autorisation expresse du maître. Pourtant dans cette ambiance de conspirateur qui allait forger son corps naturellement chétif, et sa volonté. Funakoshi se sent vite à l'aise ; et les années se succédèrent, avec les entraînements nocturnes dans la maison de maître Azato. Invariablement, le jeune Funakoshi parcourut le même chemin, tendant devant lui sa petite lanterne par les nuits sans lunes. Mais il fallut aussi préparer l'avenir : en 1888 il réussit l'examen de maître auxiliaire d'école primaire ; c'est alors seulement , afin d'avoir accès à la fonction à laquelle il avait droit, qu'il accepta de se couper les cheveux, au grand désespoir de ses parents. Et l'entraînement au karaté continua parallèlement.
Funakoshi Gishin parlait avec émotion du temps de sa jeunesse, et de Azato Senseï dont il fut longtemps le seul disciple. L'entraînement était sévère et le maître avare de commentaires, encore plus de louanges, pour les progrès accomplis . C'était encore le temps où personne ne voyait l'intérêt de transmettre par écrit, le temps où, d'ailleurs, l'Okinawa-te étant officiellement interdit, personne ne pouvait entrevoir une carrière d'instructeur professionnel, le temps où chaque histoire racontée prenait très vite des dimensions de légendes. Cependant insiste Funakoshi dans ses souvenirs, il ne vit jamais, au cours de sa longue vie de performances allant au-delà des possibilités humaines, et il souligne bien le fait que tout homme a ses limites. Ce fut également à cette époque qu'il fut présenté à Itosu Yasutsune, un excellent ami d'enfance d'Azato, et qu'il profita de ce nouvel enseignement, tirant surtout le plus grand profit à écouter les deux hommes s'entretenir des aspects mentaux profonds du karaté. Puis Funakoshi eut des promotions dans son métier et il fut déplacé dans une école de Naha en 1891. Vers la fin du siècle, mais tout en restant fidèle, mais tout en restant fidèle à ses deux premiers maîtres, il élargit son éventail technique en travaillant avec les maîtres Kiyuna, Higaonna, Aragaki et Matsumura.
Lorsque Funakoshi Gishin eut 30 ans, la karaté, sans encore avoir pignon sur rue, n'était plus totalement inconnu à Okinawa. La première démonstration publique eut lieu en 1906 après que le karaté fut depuis quelques années déjà officiellement enseigné comme méthode sportive dans les écoles suite à l'action de maître Itosu. A plusieurs reprises  aussi, de nombreux Japonais (au sens de non-Okinawaïen, donc considérés comme étrangers par les insulaires) purent avoir quelque aperçu de cette technique restée jusque là cachée. Ce fut suite au rapport très favorable qu'adressa au ministère de l'éducation Shintaro Ogawa, Commissaire du gouvernement pour la préfecture de Kagoshima (dont faisait partie Okinawa), ayant assisté à une démonstration de karaté au cours de son inspection des écoles d'Okinawa, que l'entraînement fut officiellement autorisé dans les écoles. On trouve Funakoshi dans un groupe d'experts de l'Okinawa-te (dont Motobu, Kyan, Mabuni et Gusukuma) qui, en 1913, firent une série de démonstration à travers l'île. Puis, en 1916, donnant une première démonstration au Japon , à Kyoto. La brèche, lentement s'ouvrait. Le 6 mars 1921, le prince héritier Hiro-Hito lui même en route pour l'Europe, fit escale à Okinawa et fut très impressionné par la démonstration de karaté qu'on y fit devant lui. On peut affirmer qu'à partir de cette époque là, époque de renaissance de l'impérialisme au Japon et du développement militariste des ce pays, les dirigeants nippons virent dans le Karaté-Jutsu un excellent moyen, parmi d'autres bien entendu, de fortifier cette élite. Ce fut l'année suivante que Funakoshi revint une seconde fois au Japon, cette fois pour ne plus en revenir, prisonnier de son succès.

1922 fut donc le tournant décisif. En mai, Funakoshi Gishin, alors président de la « Okinawa Shobu Kaï », association pour la promotion des arts martiaux, vint à Tokyo pour se tailler un succès inatendu et historique. En novembre de la même année, il signa son premier livre "Ryukyu Kempo Karate", première publication sur le sujet, où il expliquait l'esprit de son art. Les plaques d'impression de son livre furent détruites par le tremblement de terre de 1923 et cela donna lieu à une nouvelle édition révisée : "Rentan Goshin Karate Jutsu" (c'est en 1935 que parut son second ouvrage, cette fois véritable manuel technique, le "Karate Do Kyohan").
A partir de la démonstration de Tokyo la popularité de l'art venu du sud ira croissante, submergeant assez rapidement le pionnier lui-même. Il faut insister une fois encore sur les raisons du choix de Funakoshi par ses pairs : on avait voulu que le premier maître représentant officiellement le karaté d'Okinawa fut ambassadeur autant que technicien ; or si les techniciens ne manquaient pas, il n'en était pas de même au niveau de la valeur humaine des experts en lice. Il fallait un karatéka distingué.  Or Funakoshi était également passé maître dans l'art de la poésie et de la calligraphie (Shodo), et était dans la vie professeur enseignant à lire et à écrire la langue japonaise, par ailleurs parfaitement au courant des coutumes de son pays comme des bonnes manières en usage en société. Maître Nagamine Soshin prétendait que Motobu Choki l'avait tout de même accompagné à Tokyo lors de cette démonstration historique (ce qui est certain, c'est que ce dernier enseigna également au Japon, à Osaka, dès 1923).
La rencontre de Funakoshi Gishin et de Kano Jiguro fondateur du Judo a été décisive. Ce dernier invita le maître à faire une démonstration privée au Kodokan (la plus grande école de Judo, à Tokyo). Funakoshi démontra le kata Kanku Daï (alors appelé Koshokun), tandis que son ami et élève Gima Makoto démontrait Naihanchi Shodan. En 1924, en retour en quelque sorte, Kano Jiguro, accompagné de Nagaoka, vint faire une démonstration de Judo à Okinawa. Les deux maîtres de karaté et de judo, continuèrent à se porter une estime reciproque, et l'on rapporte que, jusqu'à la fin de sa vie, alors que Kano était mort en 1938, Funakoshi tenait à s'incliner chaque jour en direction du Kodokan, à la mémoire du disparu. Par la suite, Funakoshi fit de nombreuses démonstrations avec Gima, qui devint son disciple favori. Les débuts furent pourtant difficiles sur le plan matériel. Il dut se contenter, la première année du dortoir des étudiants, à Suidobashi à Tokyo, où il vivait dans une pièce minuscule à côté de l'entrée. Le jour il s'occupait de la tenue du dortoir, le soir il y enseignait à ses premiers élèves. Son premier disciple nippon fut Tanaka Kuniki. A côté de cet enseignement, donné à titre gracieux, il gagnait difficilement sa vie grâce à ses connaissances de la calligraphie. Quelques temps après, il put s'établir à Meishojuku, un petit gymnase. En septembre 1924, il fonde le premier club universitaire, à Keio, puis en 1926, le deuxième club à Ichiko, université de Tokyo. En 1927, trois écoles supplémentaires s'ajoutent aux premiers points d'impact : université de Waseda, université de Takushoku et Sho Daï. Puis Hitotsubashi, puis d'autres encore ; car ce fut soudain l'explosion : en 1930, rien qu'à Tokyo, s'était ouvert une dizaine de Dojo.
En ce temps-là l'enseignement était entièrement basé sur les katas et leurs bunkaïs. Mais déjà, dans l'entourage de Funakoshi, de jeunes loups étaient en train d'infléchir la "voie de la main vide" dans une direction plus moderne, et plus sportive, sans que le maître s'en rendît encore bien compte. Son type d'enseignement à l'ancienne ne suffisait plus ; on commençait à se lasser de la répétition fastidieuse de technique que l'on éprouvait jamais en combat. Ainsi, en 1927, trois élèves, nommés Miki, Bo et Hirayama, se mirent à étudier par eux-mêmes l'assaut libre (Ju-kumité) : lorsque Funakoshi apprit cette initiative, et comme il était farouchement opposé à cette forme de karaté, il décide simplement de ne plus enseigner dans ce dojo. Mais le processus d'érosion d'une tradition jusque là sauvegardée était en marche. L'un de ses élèves préférés, Otsuka Hironori, qui l'accompagnait pourtant fidèlement à l'occasion de le majeure partie de ses conférences et qui, à 29 ans était passé lui-même maître dans l'art du Ju Jutsu, décida de développer d'avantage les entraînements basés sur le combat (kumite). En 1930, l'université de Tokyo fut la première à avoir mis au point des protections pris à l'armure du Kendo (escrime au sabre), afin de rendre possible l'assaut libre, non contrôlé. Ces années là furent décisives. Funkaoshi Gishin habitait alors Koishikawa avec son plus jeune fils Yoshitaka. Il enseignait également dans un dojo de Kendo, plus grand que tout ce qu'il avait connu jusque là, le Yushinkan, dirigé par Nakayama Hakudo. C'est de ce temps là que date la mutation, si habile de la part du maître et si décisive de "l'art de la main chinoise" en "art de la main vide". Mais le mouvement qu'il avait lancé était en train de lui échapper : son karaté était entré en pleine crise de croissance.


La popularité de cet art martial nouveau pour les japonaisétait alors pourtant devenue telle, et à la demande en instructeurs si forte, que de nombreux experts alléchés par la demande affluaient d'Okinawa et, avec eux, apparaissait l'inévitable rivalité des personnes et de leurs styles. Parmi les plus importants furent, en 1928, Minueiomi Sawayama (Kempo) et surtout en 1929, Miyagi Chojun (Goju-Ryu) et Mabuni Kenwa (Shito-Ryu), qui allaient leurs propres chemins. Puis après huit années d'études avec Funakoshi, Otsuka Hironori se sépara du maître pour, avec son consentement dit-on, créer son propre style, le Wado-Ryu, forme de karaté d'avantage lié à ce que son fondateur connaissait déjà du Ju-Jutsu nippon. En réalité Otsuka s'était lassé des graves différences qui l'opposait au fils du maître. Au début des années 1930, Yoshitaka, le seul de ses fils qui allait suivre ses traces en karaté, remplaça son père comme instructeur à l'université de Waseda. Avec la première génération de Senpaï japonais, ainsi Egami Shigeru, Hironishi Gishin, Noguchi Hiroshi et Shimoda Takeshi, Yoshitaka commençait alors à faire évoluer le style Shuri-te apporté par son père en ce qui allait devenir  le Shotokan-Ryu.

Le tigre
symbole du Shotokan...

En 1935, Funakoshi Gishin put réaliser son rêve : la construction d'un nouvel et important dojo pour grouper des étudiants de plus en plus nombreux. Un comité se chargea de collecter, à l'echelon national, les fonds nécessaires et le "Shotokan" fut achever en été 1936 dans le quartier de Meijuro, à Tokyo. Le nom que le comité avait décidé de donner à ce dojo provenait du pseudonyme sous lequel Funakoshi avait autrefois signé les poèmes chinois qu'il lui arrivait de composer : "Shoto", ce qui peut se traduire par "ondulation des pins" (sous le vent), et "Kan" désignat l'édiffice. Mais très rapidement le vieux maître ne fit plus que superviser, laissant l'enseignement  effectif à Yoshitaka. Le Hombu-dojo du Shotokan-Ryu fut alors, pendant des années, une pépinière de futurs experts et bien des karatéka débutants, qui se sont depuis hissés au plus haut niveau, ont alors foulé ses planches.
La seconde Guerre Mondiale éparpilla les meilleurs pratiquants dans les unités combattantes. Les effectfs diminuèrent. L'année 1945 fut terrible : non seulement les anciensétaient décimés mais le Shotokan fut détruit par un raid aérien ; surtout Yoshitaka mourut de la tuberculose. Sous la pression des troupes du Général américain Mac Arthur de nombreux civils Okinawaïen furent évacués vers le Japon, et parmi eux, l'épouse de maître Funakoshi, qui avait toujours refusé de quitter l'île, pour pouvoir continuer à honorer les tombes et l'autel des ancêtres. Le vieux couple se retrouva à Oita, sur Kyushu, mais ne se reforma pas pour deux ans : à l'automne 1947 la femme de Funakoshi mourut. Le vieux maître, qui  ne l'avait retrouvée après tant d'années que pour la voir mourir, en fut très affecté. Il ramena ses cendres à Tokyo, où il vécut désormais retiré, en compagnie de son fils aîné. Ce ne fut qu'en 1948 que fut levé l'interdit jeté par les forces américaines d'occupation sur la pratique des arts martiaux. Funakoshi Gishin, malgré son grand âge, recommença à enseigner à Keio et à Waseda. Mais son temps était passé. Pourtant, dès 1949, la résurrection du karaté intervint sous l'impulsion des derniers Sempaï de Funakoshi, qui créèrent la Japan Karaté Association (J.K.A.) dont le maître est nommé instructeur d'honneur et Obata Isao, Chairman. En réalité, le vieux maître d'Okinawa se refusa à suivre l'impulsion donnée par Nakayama Masatoshi, revenu de Chine en 1946 avec le reflux des troupes japonaises d'occupation, et Nishiyama Hidetaka, dans la direction d'un karaté praticable en compétition sportive, une évolution que ni lui ni Egami ne cautionnèrent jamais.
Le nouveau Shotokan fut établi dans le quartier de Yotsyua, à Suidobashi, dans les locaux du vieux Kodokan. En réalité les liens furent plus que lâches entre le maître et le nouveau dojo : il n'était plus qu'une image de marque, un symbole, un vieil homme respecté, mais écarté sur le plan technique, et il le savait. Dès lors sont rôle se borna à quelques visites. La J.K.A. introduit le Ju-Kumité dans l'entraînement classique dès 1951 et finit par devenir une organisation de plus en plus commerciale, ambitionnat un rayonnement mondial grâce à ses experts dont il faut bien direqu'ils se révelèrent réellement dynamiques et techniquement forts séduisants. L'unité de la J.K.A. se brisa dejà du vivant de Funakoshi puisqu'en 1954 Obata lui-même partit pour suivre sa propre voie, puis d'autres après lui, dont Egami. L'année suivante, Nakayama prit lui-même la direction de la J.K.A. et dès 1958 se déroula le premier Shiaï officiel, remporté par Kanazawa Hirokazu. Mais Funakoshi Gishin n'eut pas le temps de voir cela : il était mort le 26 avril 1957, âgé de 88 ans . On rapporte que, les derniers jours, sur ce qui allait devenir son lit de mort, il fit encore quelques mouvements des bras, disant qu'il commençait à "sentir le tsuki". Ses élèves, un instant à nouveau rassemblés autour de sa mémoire, lui consacrèrent une stèle dans le temple Zen Enkakuji à Kamakura. Mais ses cendres furent ramenés à Okinawa


10/05/2007
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 34 autres membres